« La caméra a décrypté le bien-être de nos veaux »
Bien traiter les veaux est une chose. Assurer leur bien-être en est une autre. La vidéo permet de voir si les pratiques et les conditions de logement offrent un environnement favorable à l’expression de leur comportement naturel.
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Éleveurs à Saint-Carné, dans les Côtes-d’Armor, Jean-Baptiste et Nicolas Le Moing font partie d’un groupe Atout lait animé par BCEL Ouest. C’est ainsi qu’ils ont découvert la méthode Signes de vaches. Il y a deux ans, une caméra a été posée dans leur étable afin de filmer les bêtes. Ils ont trouvé la démarche intéressante. Aussi quand ils ont eu l’opportunité de la renouveler dans la nurserie, ils ont saisi l’occasion. « Nos génisses démarrent en case individuelle la première semaine et rejoignent ensuite un bâtiment dédié aux veaux jusqu’à 4 mois », raconte Jean-Baptiste. « Il s’agit d’une ancienne porcherie dans laquelle ont été aménagés des box pour trois ou quatre veaux », ajoute Nicolas. Le bâtiment est bas de plafond, bien isolé, mais un peu sombre. Des cases collectives ont été aménagées dans un autre bâtiment pour les génisses plus grandes.
Avec un objectif atteint de vêlage à 24 mois, les deux éleveurs sont très attentifs aux veaux. Ils reçoivent d’abord le colostrum puis le lait entier de la mère, deux fois par jour pendant la première semaine. Les éleveurs distribuent ensuite une buvée quotidienne de 4 l de lait entier dans un seau sans tétine « pour éviter qu’ils se tètent entre eux ». Ils apportent de l’eau et de la paille à volonté. Ils donnent une poignée de mash au début, puis augmentent la quantité quand le veau commence à en consommer. L’objectif est de faire consommer 1 kg de mash par mois d’âge jusqu’à 4 mois. « On met de la bentonite à disposition. Certains en prennent, d’autres non. »
Écorner tôt et administrer un sédatif
L’écornage est pratiqué le plus tôt possible, dès que les cornillons peuvent être correctement sentis au toucher, vers l’âge de 3 semaines. Les veaux reçoivent un sédatif au préalable. Le brûlage dure cinq secondes, et est suivi d’une désinfection par pulvérisation. Une semaine avant le sevrage, à 2 mois, la ration de lait est divisée par deux.
Le maïs est introduit à l’âge de 4 mois et le mash diminue progressivement. La transition dure deux semaines puis les génisses passent dans l’autre bâtiment, où elles restent jusqu’à l’âge de 1 an. Elles ont toujours de l’eau et de la paille à disposition.
Cette conduite permet une première insémination vers l’âge de 14 mois. « On les mesure au barymètre pour s’assurer qu’elles ont atteint 400 kg », précise Jean-Baptiste. Le taux de mortalité des veaux s’établit à 9 %, avec trois avortements l’an dernier, mais certaines années l’élevage ne perd aucun veau. « En moyenne dans les élevages bretons, le taux de mortalité s’élève à 13 % », rappelle Maël Raulo, conseiller BCEL Ouest. « Nous avons modifié notre protocole après avoir perdu quelques veaux », raconte Nicolas. Ils rencontraient des diarrhées blanches, et supprimaient un repas aux veaux concernés pour le remplacer par un réhydratant. La diarrhée s’améliorait, certes, mais le veau s’affaiblissait. Désormais, les éleveurs maintiennent le lait et administrent un antibiotique. Les veaux se portent mieux.
La coccidie est présente dans le bâtiment des plus jeunes. C’est pour que les veaux résistent mieux que les éleveurs ont introduit le mash. « Avant, on donnait des bouchons dont la valeur alimentaire est identique. Mais ce produit est plus fermentescible et provoque des acidoses qui fragilisent les veaux. » En outre, le mash contient une substance tampon et favorise le développement des papilles ruminales.
Les bonnes performances des veaux attestent de la bientraitance que leur prodiguent les éleveurs. Mais cela suffit-il pour garantir le bien-être animal ? Pour le confirmer, une caméra a été placée dans la nurserie durant une semaine. Clarisse Frémont, étudiante à Oniris, a effectué un audit bien-être des veaux sur l’élevage en s’appuyant sur ces images, mais aussi sur des mesures et sur la connaissance des pratiques des éleveurs. Elle a réalisé une thèse de doctorat vétérinaire visant à définir une grille d’évaluation du bien-être des veaux laitiers au cours d’un stage à BCEL Ouest.
Les images appuient les mesures et l’observation des pratiques
Sur le plan alimentaire, elle a constaté qu’il n’y a pas, sur l’élevage Le Moing, d’animaux trop gras ni trop maigres. Les croissances atteignent les objectifs. En revanche, en n’utilisant pas de tétines, les éleveurs ne satisfont pas le besoin de succion des jeunes animaux. Et le sevrage sur une semaine est un peu court. Mieux vaut un changement plus progressif, sur deux semaines. Les images montrent bien qu’il n’y a pas de concurrence entre les animaux pour l’accès aux fourrages et à l’eau. Le fait qu’ils puissent manger et boire ensemble favorise à la fois la cohésion sociale du groupe et l’ingestion. Ils ont la possibilité de ruminer et de se reposer durant de longues périodes. Mais certains râteliers sont un peu trop hauts. Les veaux prennent, pour consommer la paille, des positions un peu inconfortables.
L’état de propreté des animaux traduit un espace suffisant et un bon rythme de paillage. La vidéo montre des veaux qui flairent le sol avant de se coucher, un comportement tout à fait normal. On voit aussi qu’ils se couchent en dépliant entièrement les membres, preuve qu’ils sont à l’aise. On peut apprécier le confort de la litière en pratiquant le test dit « du genou ». Il s’agit de poser le genou au sol en quatre endroits de la case. Si l’on sent l’humidité, le paillage est insuffisant.
Malgré le volume réduit du bâtiment, l’odeur d’ammoniac est à peine perceptible. Sinon, il aurait fallu améliorer la ventilation. La luminosité est faible mais il est difficile d’y remédier. Ouvrir des puits de lumière risquerait de créer une ambiance trop chaude en été.
Sur le plan du comportement social, on voit les veaux se frotter et se toiletter mutuellement. Ils s’intéressent à ceux des cases voisines. La curiosité des animaux s’exprime aussi. Ils viennent voir dès qu’une porte s’ouvre. Ils observent les éleveurs quand ils pénètrent dans le bâtiment. Toutes ces attitudes révèlent un comportement social normal.
À la suite de ce diagnostic et de la visite de l’élevage, les éleveurs ont modifié certaines pratiques. Les seaux de buvées sont mis à sécher individuellement (voir photo) pour une meilleure hygiène. Avant, ils les empilaient à l’envers. Les seaux sont toujours utilisés pour la même case. Les éleveurs ont aussi pris l’habitude de laisser la porte ouverte chaque fois que la météo le permet. « Les veaux regardent dehors, ça les distrait. » Mais ils maintiennent l’absence de tétines dans les seaux. Globalement, les éleveurs se sont sentis confortés dans leurs pratiques.
Pascale Le CannPour accéder à l'ensembles nos offres :